L’ennui au travail ou bore-out est un phénomène qui est apparu à la suite d’une période d’intense activité. En France, ce fut la sortie des fameuses trente glorieuses qui avaient débuté juste après la Seconde Guerre mondiale. On peut dire que ces belles années ont brusquement pris fin, le 17 octobre 1973, lors du premier choc pétrolier. Ce bouleversement fut rapidement suivi d’une importante hausse du prix de très nombreux produits (en raison de l’omniprésence du pétrole dans l’activité des pays développés). Comme cela est toujours le cas dans ce type de situation, cette inflation a eu pour conséquence directe une chute brutale de l’activité économique. Eh oui, chaque période a ses chocs…, ce qui ne diminue pas la sidération que nous pouvons ressentir.
Ainsi, après avoir dû lutter pendant des années pour faire face à la surcharge de travail et découvert ce que signifiait l’épuisement professionnel ou burn-out, les Français se sont retrouvés confrontés à un phénomène jusqu’alors inconnu et assez sournois : l’ennui au travail. Un nouveau risque psychosocial venait de faire son apparition.
Sommaire
Qu’est-ce que l’ennui ?
Le dictionnaire Larousse nous en donne la définition suivante : « Lassitude morale, impression de vide engendrant la mélancolie, produites par le désœuvrement, le manque d’intérêt, la monotonie ».
Quant à Henri Frédéric Amiel, poète et philosophe suisse, il nous décrit ce ressenti d’une manière plus haute en couleur, puisqu’il écrit « L’ennui est une lacune dans le tissu de la vie, une privation d’attrait, un vide qui appauvrit, alanguit, diminue l’individu […] ; c’est l’effet d’une force sans emploi qui se dégoûte d’elle-même ».
La caractéristique la plus remarquable de l’ennui est qu’il peut se manifester dans des occasions très diverses. On peut s’ennuyer seul, mais on le peut également en compagnie. Certaines formes d’ennui sont liées à des causes intrinsèques comme la passivité, la dépression…, tandis que d’autres sont directement rattachées à des causes extrinsèques, ce qui est souvent le cas lorsque l’on s’intéresse à l’ennui au travail.
L’ennui au travail à travers les générations
Aussi surprenant que cela puisse apparaître à première vue, l’ennui au travail est un état émotionnel qui n’a pas toujours eu sa place dans la vie des salariés. Ainsi, nos ainés n’avaient pas le temps de s’ennuyer ! L’ennui n’a pas touché ceux de la génération silencieuse (entre 1925 et 1942). Les valeurs étaient alors uniquement tournées vers le devoir, le travail et un respect profond de la hiérarchie.
La génération suivante (1942-1959) est une génération chanceuse. Les baby-boomers sont entrés dans le monde du travail en foulant un tapis rouge. C’est l’époque des longues carrières dans la même entreprise. Les salaires atteignaient des sommets sans pareil avec une exceptionnelle croissance tous les ans. Les travailleurs avaient le sentiment de s’accomplir pleinement dans leur emploi. En outre, ils n’avaient pas le temps de s’ennuyer.
Les sujets de la génération X (1960-1979) ne veulent surtout pas connaître l’immobilisme de leurs aînés. Faire toute sa carrière au même endroit est devenu impensable pour eux. Manque de chance, ce désir est vite contrecarré par une diminution notable du marché de l’emploi. Il n’est plus vraiment question de se réaliser, mais il faut assurer sa sécurité financière ainsi que celle de sa famille. L’ennui au travail n’a pas sa place dans un monde où chacun doit lutter chaque jour pour conserver son poste.
La génération Y (1980-1995) marque un changement brutal. On passe ainsi d’une société de besoin à une société de désir. C’est un tournant capital qui va modifier du tout au tout la vision du monde du travail. Il n’est plus question de sacrifier sa vie personnelle pour réussir sa vie professionnelle. Le travail devient une obligation, mais il n’est plus considéré comme un épanouissement. L’ennui trouve ici un terrain favorable pour se développer.
Enfin, terminons ce bref rappel historique par la génération Z, celle qui débute en 1996. Nous assistons alors à un nouveau bouleversement des valeurs. Une génération hyperconnectée, dont la vie professionnelle et la vie personnelle ont perdu leurs limites. La frontière est devenue totalement floue, les heures consacrées au travail ne sont plus comptées, elles viennent s’immiscer dans la sphère privée. Cette génération est profondément ancrée dans la recherche du plaisir. Avoir un emploi n’est plus suffisant, il faut avoir un travail qui permet de s’épanouir, qui apporte un sens à la vie.
L’ennui au travail est alors en terrain conquis, le bore-out acquiert ses lettres noblesses, même si, à ce jour, il n’est toujours pas officiellement considéré comme une maladie professionnelle. Il faut toutefois noter qu’un arrêt de la Cour d’appel de Paris, en date du 2 juin 2020 (n° 18/05421), a admis l’existence d’un harcèlement moral dû à une « placardisation ». C’est donc la première reconnaissance légale de l’ennui au travail comme une véritable pathologie.
Quelles sont les sources de l’ennui au travail ?
Les premières études de psychosociologues comme Elton Mayo ou Georges Friedmann ont amené à considérer que les deux principales sources de l’ennui au travail se cantonnaient à la monotonie et à la répétitivité des tâches. Mais ces études étaient surtout centrées sur le monde ouvrier, donc sur des occupations manuelles.
Si l’on regarde le phénomène du bore-out chez les cadres, on s’aperçoit qu’il se situe à l’opposé du burn-out, mais que les deux sont des pathologies de l’épuisement. Le burn-out est lié à une pression excessive au travail, tandis que le bore-out est une insuffisance de pression. Les deux ont pour résultat une souffrance qui débouche souvent sur la dépression.
Selon une étude de Christian Bourion et Stéphane Trébucq, l’ennui au travail est « la maladie honteuse d’un Occident où il n’y a plus assez de travail pour occuper les salariés, même talentueux, pendant leur temps de travail ».
Contrairement à la « placardisation », le bore-out ne relève pas de la part de l’entreprise d’une volonté de nuire au salarié. C’est l’organisation du travail ou la fluctuation de l’activité qui peuvent être responsables de ces phénomènes. Ainsi, selon ces deux auteurs « L’absorption organisationnelle de l’inactivité concernerait maintenant 30 % des salariés ».
Comment éviter l’ennui au travail ?
Devant la montée incessante de ce phénomène, il apparaît aujourd’hui urgent de se pencher sur les meilleurs moyens de le vaincre. Pour cela, il faut commencer par identifier les causes qui en sont à l’origine.
Les principales raisons qui sont évoquées par les salariés sont :
- le manque de diversité dans les tâches à accomplir ou leur absence d’intérêt ;
- l’inexistence de challenge et donc d’objectif ;
- des réunions à répétition qui sont de plus en plus chronophages.
Les moyens à mettre en œuvre pour éviter le bore-out sont de deux natures. Ils peuvent provenir de l’employeur, mais ils peuvent aussi être mis en place par le salarié lui-même.
Du côté de l’employeur
Deux pistes principales sont à envisager :
- La première est certainement de savoir reconnaître et utiliser les compétences de chaque collaborateur pour lui donner davantage d’autonomie et l’occasion de s’investir plus avant dans la réussite de l’entreprise dans laquelle il travaille.
- La seconde consiste à profiter du temps d’échange avec les équipes, lors des entretiens d’évaluation par exemple, pour cerner les objectifs du salarié et de lui permettre de se projeter dans un futur qui lui correspond.
Ces deux actions sont donc basées sur une écoute attentive des besoins exprimés par les salariés.
Du côté des salariés
Partant du principe que l’on ne peut pas tout attendre des autres, il est du devoir de chacun de s’autoévaluer en se posant les bonnes questions :
- « Suis-je heureux dans ce que je fais ? ».
- « Suis-je suffisamment valorisé ? ».
Si les réponses à ces deux interrogations sont négatives, il est alors temps d’accepter de se remettre en question. C’est un passage obligatoire pour mettre en place les outils nécessaires à un changement profitable.
Cet autoquestionnement permet au salarié d’exprimer ses désirs d’évolution à son manager ou au RH. C’est un premier pas important. Mais il n’est pas toujours suffisant. En effet, si l’entreprise est dans l’incapacité de répondre à ses attentes, il pourra alors envisager de se former pour acquérir les compétences qui lui manquent ou pour changer radicalement de métier.
Les conséquences positives d’une diminution de l’ennui au travail
Un salarié épanoui est heureux de se rendre tous les jours à son bureau pour y accomplir les missions qui lui sont confiées. Par conséquent, il est nettement plus efficace que celui qui y va à contrecœur.
Mais cet épanouissement n’est pas uniquement sur le plan professionnel. C’est toute la vie du salarié qui change lorsqu’il se sent à la bonne place, car les deux sphères ne peuvent pas être totalement hermétiques. Preuve en est la période que nous traversons avec une augmentation exponentielle du télétravail en raison de la covid-19. Cette incursion du travail dans la sphère privée peut s’avérer très intrusive, si les tâches à accomplir sont monotones et rébarbatives. Et cela peut avoir alors des conséquences négatives sur la vie du couple et de la famille d’une manière plus générale.
Les directions des Ressources humaines misent aujourd’hui davantage sur les compétences d’adaptation et sur l’intelligence émotionnelle, que sur les compétences métier pour pallier le risque d’ennui, voire de désengagement au travail. Quoique mal perçu socialement et source de culpabilité chez ses victimes, le bore-out peut néanmoins révéler des talents… à condition de pouvoir en sortir. Cela me rappelle ce collègue qui s’est retrouvé plusieurs années en bore-out et qui, à la surprise générale, a pris son destin en main pour rebondir et s’épanouir pleinement, avec son épouse chinoise, dans une filiale du Groupe en Asie.
Il nous reste à espérer qu’à la sortie de cette pandémie, nous aurons gagné en sagesse. Beaucoup d’entre nous, je le constate chaque jour, prennent déjà du recul sur le sens de leur vie. Nous aurons pris une mesure inédite du temps et de la vitesse à laquelle il passe. Espérons que le recul sera suffisant pour éviter de retomber dans certains pièges, notamment celui de l’ennui au travail.
Le mal-être au travail, dont le bore-out souvent lié à une placardisation, est un élément très souvent évoqué par des travailleurs de plus en plus nombreux, et effectivement, de nombreuses enquêtes font état d’une hausse constante de la fréquence et de l’intensité des facteurs de stress causé par certaines méthodes de management, la mauvaise gestion des ressources humaines et les contraintes organisationnelles : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/la-prevention-du-mal-etre-au-travail-burn-out-bore-out-brown-out
Merci Corinne pour votre retour. Ce risque de bore-out doit être suivi de près par les RH et les managers concernant leurs équipes. En effet, dans le nouveau contexte de développement du télétravail, la placardisation peut être facilitée :
1- pour les collaborateurs qui n’ont pas le niveau d’autonomie suffisant pour être totalement à l’aise avec le travail à distance
2- certains managers peuvent utiliser ce nouveau levier pour indirectement “exclure” certains de leurs collaborateurs.
Le Leader à l’intelligence émotionnelle plus développée, à l’écoute de ses équipes, et soucieux de son collectif devrait permettre d’éviter ce type de risque.