Retranscription texte de l’interview de Pierre Deheunynck, ex Directeur Général Adjoint et Directeur des Ressources Humaines ENGIE
Lise Bachmann : Bonjour Pierre Deheunynck ! Donc Pierre Deheunynck, Directeur Général Adjoint du grand groupe ENGIE. Egalement DRH de 170.000 salariés à travers le monde. Une expérience précédente de DRH de Danone pendant 20 ans et du Crédit Agricole. Je souhaite t’accueillir aujourd’hui avec ces questions autour des compétences clés, des talents pour affronter le monde complexe dans lequel entrent les entreprises et ta vison du LEADER DE DEMAIN et du process de détection des potentiels.
Pierre, vu de toi, quel impact a eu cette période inédite du covid-19 sur les managers ? Quel changement, quelle transformation ?
Pierre Deheunynck : Bonjour Lise ! Tout d’abord, je pense cette période a révélé c’est ce que nous percevions déjà, pour beaucoup d’entre nous, depuis quelques années. Le monde change, il a toujours changé. Et nous nous sommes toujours habitués et adaptés à ces évolutions et à ces changements. Simplement le rythme de changement s’est accéléré et la complexité de l’environnement dans lequel nous sommes est apparue de manière plus objective, plus évidente à chacune et chacun avec les nouvelles technologies. Donc la complexité dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui nécessite que nous nous réinventions et que nous le fassions de manière radicale.
Lise Bachmann : radicale ?
Pierre Deheunynck : Absolument, dans la pratique de fonctionnement des entreprises. Je crois qu’il y a des mots qu’il nous révéler d’ailleurs et qu’il ne faut pas moins d’exécution et d’autorité que d’engagement et de motivation. Je crois qu’il faudrait davantage parler de développement et de responsabilité que d’exécution ou de mise en œuvre ! L’essentiel de la période Covid nous a montré que, à travers le télétravail, les organisations ont réussi partout dans le monde à travailler et à assurer la continuité de leurs activités, à fixer un cap, à créer des conditions à la fois technique et de confiance pour que les salarié puissent délivrer leurs objectifs. Et contribuer ainsi à l’objectif commun que l’entreprise s’était fixée. Il n’y a plus d’autre moyen que celui-ci pour prolonger finalement les actions que l’entreprise doit conduire; pour délivrer un projet; une vision.
Lise Bachmann : D’accord, tu parles de mots très forts ici ! Tu parles de confiance, d’engagement. C’est vrai que, par rapport à l’exécution, on est sûr de nouvelles thématiques, de nouvelles manières de faire en fait. Quelles sont, vu de toi les compétences clés qui devront être recherchées auprès des futurs dirigeants d’Entité, de BU dans ce monde complexe dans lequel nous sommes en train d’entrer ?
Pierre Deheunynck : Comme je l’ai évoqué, le monde a toujours changé pour autant aujourd’hui le rythme auquel le changement se prend est plus rapide, beaucoup plus rapide. Nous avons quitté notre territoire respectif pour être plus globaux. La technologie évolue d’une manière incroyable, peut être très vertueuse. D’ailleurs elle requière qu’en réalité le Dirigeant soit, en premier lieu, principalement talentueux sur les dimensions “soft” du leadership. Je ne suis pas certain qu’il faille nécessairement que le dirigeant soit un sachant du métier, de l’expertise, de la compétence.
Je pense que le dirigeant doit être celui qui doit créer la recette qui convienne à son organisation, à sa culture d’entreprise et à ce qu’il a besoin de délivrer. Ces ingrédients sont au nombre de 4 dans mon point de vue. Première ingrédient
1- le dirigeant doit être en capacité d’allier un engagement collectif de l’entreprise à ses salariés. L’union doit être capable de fixer une vision
Ça paraît absolument fondamental et cette vision doivent être plus grande que lui, plus grande que son organisation. Elle doit répondre à un dessin collectif, c’est essentiel pour engager la communauté des salariés.
2- C’est le deuxième ingrédient qui me paraît nécessaire. Il est fondamental que le dirigeant ait la capacité à engager sa communauté de salariés et probablement sa communauté de clients !
Lise Bachmann : les clients et l’ensemble des parties prenantes tu veux dire
Pierre Deheunynck : toutes les parties prenantes, absolument ! Pour faire cela, il faut qu’il ait le talent d’être en capacité de dessiner des organisations créatrices des condition pour que les parties prenantes, les salariés évidement soient en capacité d’exécuter de déployer en pleine responsabilité !
3- L’entreprise doit leurs permettre d’accéder aux compétences, aux outils, aux moyens qui leurs permettront de délivrer. C’est le design de l’organisation qui fera que chaque salarié(e), y compris celui ou celle qui est en interaction avec le client; le technicien par exemple; soit en pleine autonomie en pleine responsabilité.
4- Le dernière élément, consiste à repenser les indicateurs de performance. La performance est évidement économique et évidement essentielle. Nous n’arriverons pas à transformer les organisations sans moyens, y compris des moyens pour aider nos salariés, la communauté salariée à se former aux besoins de demain. Pour ceci, nous avons besoin évidement d’efficacité économique et de la capacité à financer ceci.
Cependant, il faut réfléchir à d’autres critères que ceux auxquels nous sommes habitués et je suis personnellement convaincu que le cours de bourse à terme prendra en contenant non seulement la performance économique de l’entreprise, mais que les actionnaires qui investiront dans les entreprises s’intéresseront de plus en plus à l’impact de l’activité sur la planète, et à la façon dont on accompagne et on traite les salariés.
La façon de créer de la valeur avec le client durablement.
C’est cette dimension nouvelle qui me semble être progressivement en train de se construire. On ne le voit pas partout encore mais c’est, de mon point de vue, le résultat des dimensions “soft” la capacité à construire une vision, la capacité à créer des organisations, à dessiner des organisations qui permettront aux salariés d’être les acteurs de cette vision dans l’exécution. Je ne crois pas au fait que nous avons à être dans des organisations à devoir donner des instructions pour que celles-ci exécutent mais nous devons donner à chacun la pleine autonomie, la pleine responsabilité avec des moyens et des compétences pour permettre à chacun de s’épanouir en exécutant et en délivrant cette stratégie. Et enfin, je pense qu’il faut repenser la performance et les indicateurs associées à la performance. Parce que c’est bien la performance globale, la performance durable qui permettront, y compris aux actionnaires, de finalement trouver un retour sur l’investissement qu’ils ont opérés initialement.
Lise Bachmann : Merci Pierre pour ce témoignage ! Je rajouterai que, en effet, on voit des nouveaux indicateurs qui arrivent dans les décisions d’investissement, des indicateurs liés au CO2, des indicateurs liés aux taux de femme dans les Comités de direction et il y a des sujets comme cela qui émergent et qui, je pense, doivent être pris en compte de manière de plus en plus sérieuse. En effet, c’est vraiment les contributions sociétales de l’entreprise qui sont de plus en plus valorisées.
Est-ce que tu peux nous parler de l’impact du mentoring et des réseaux pour accélérer la réussite professionnelle. En effet, le programme WOMACCELERATOR que je crée a cette ambition de donner aux cadres ambitieuse et ambitieux, tous les leviers en main pour réussir plus vite. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur le monitoring et les réseaux dans la réussite d’une carrière comme la tienne, comme dans celle de tout(e) Dirigeant(e) et potentiels ?
Pierre Deheunynck : Lise, cette question est intéressante parce que finalement, s’impose un besoin fondamental de l’entreprise : la responsabilité du développement personnel et professionnel.
Tous ceux ou tous celles que tu interrogeras et à qui tu demanderas ce qui a participé à qui leur permettre de s’épanouir professionnellement et personnellement. Tu seras surprise : le niveau de statut ou de responsabilité qu’on atteint, ce n’est pas ça qui fait le bonheur ou la satisfaction professionnelle.
Ce qui satisfait sur le professionnel, le plan personnel, c’est la capacité que les uns ou les autres ont à s’épanouir. Par la contribution qui se trouve être la leur, totalement indépendante du statut. Souvent on s’attache finalement à évaluer le succès professionnel sur des registres qui probablement ne sont pas les bons éléments à étudier et évaluer.
Quoiqu’il en soit, quand on interroge un dirigeant, il dira et qui a fait des rencontres et que ces rencontres l’ont influencé, inspiré, motivé et engagé. Le succès est directement lié aussi à la capacité qu’ont le salarié, le collaborateur, le manager, le dirigeant à être en pleine conscience de la responsabilité qui est la leur dans la conduite de leur projet. Projet de vie pro mais aussi de vie privée.
Dans ce contexte, l’idée claire que le mentoring ou l’appartenance à un réseau est fondamental (parce que, finalement, il est impensable ou impossible de réussir seul((e). De la même manière, les évolutions des organisations dans les entreprises, notamment dans les organisations très hiérarchiques, très statutaires, très top down, va arriver.
Cette capacité à fonctionner dans un réseau ou à se faire aider pour délivrer une tâche professionnelle, un projet, un service aux clients mais aussi pour gérer sa propre carrière, sa propre réflexion paraît assez fondamentale.
Donc dans les organisations que j’observe, qui sont les plus performantes, celles qui ont de mon point de vu le plus de perspective ou celle au sein lequel on s’épanouit le plus, ce sont celles qui sont dans ces formats de communautés et qui permettent à travers des collectifs, à la fois de se développer et de délivrer leurs projets.
Très intéressant d’observer par exemple en France l’Ecole 42 et la façon ces jeunes se forment, ils se forment à la fois sur le code, mais ils se forment aussi sur la façon d’interagir avec une communauté de jeunes et d’ainés qui leurs permettent d’accéder à la compétence, qui leurs facilite finalement l’apprentissage des méthodes de travail et qui leurs permettent d’être en auto-développement, en auto-formation.
C’est exactement ce dont on a besoin dans les entreprises et les deux mots que tu citais il y a un instant, “mentoring” et “réseau” précisément, ces formats-là doivent permettre aux organisations les plus évolutives , les plus évoluées, de créer des meilleurs conditions qui permettront aux uns et aux autres de se développer. Sachant que le développement est toujours, toujours une responsabilité individuelle. Quels que soit les moyens que l’entreprise peut mettre à disposition que ce soit à dans le cadre de programmes de développement collectif ou de développement individuel, on ne tire jamais le meilleur bénéfice qu’à partir du moment on fait sien ce projet, qu’il soit collectif ou individuel.
Lise Bachmann : C’est un fait. Un investissement que l’on fait en soi ou que l’entreprise fait en son salarié… si ce n’est pas ressenti comme un investissement qui va faire grandir, en effet c’est n’ira pas beaucoup plus haut.
Pierre Deheunynck : Absolument !
Lise Bachmann : Tu te présentes aussi Pierre comme le DRH pro diversité ? Etant toi-même issu de la diversité, notamment celle du diplôme, est-ce que tu peux nous en dire plus sur l’importance de cette diversité pour délivrer les meilleures décisions pour la performance de l’entreprise ? Et à tous les niveaux de décisions ?
Pierre Deheunynck : Il y a trois perspectives qui mènent à penser que la diversité est une des conditions d’efficacité des entreprises et de l’épanouissement des entreprises. Il y a d’abord un registre lié à la performance, il y a un registre lié à ce que je considère être moral, et il y a un registre lié au plaisir (que j’appelle le fun).
1- D’abord sur l’efficacité, très simplement on ne peut pas imaginer le monde de demain, les services de demain, les produits de demain si nous n’avons pas les meilleures compréhensions de ce qu’est le monde de demain. Il est impensable ou impossible d’imaginer le monde de demain si nous ne le regardons pas dans la diversité qu’il représente. Les frontières tombent, les marchés s’agrandissent, qu’il s’agisse de l’Europe ou du reste du monde, et , ce faisant, pour comprendre ce monde et ses clients, ses concurrents, son environnement, il faut être constitué de la diversité du monde que nous servons.
Ça paraît évident. Parfois nous disons : “il faut ressembler ses clients”…c’est beaucoup plus que cela me semble-t-il ! Pour être en capacité d’appréhender ceci, il faut avoir capacité à échanger, à interagir, à construire avec ceux et celles qui représentent en fait ce monde. Ça c’est du registre de la performance, de l’efficacité.
Lise Bachmann : Pierre, tu justifies ici l’idée d’éviter les angles morts. Si la dirigeance n’est constituée que de clones quand on prend une décision, alors on peut passer à côté de l’essentiel, est-ce bien cela ?
Pierre Deheunynck : La façon de m’exprimer c’est de voir à 360° le monde qui nous entoure. Or si nous sommes tous issu de la même génération, si nous sommes tous issus des mêmes histoires, des mêmes Ecoles, des mêmes types d’éducation alors la probabilité que nous prévoyons à 360° est nul ou très très faible.
Ce faisant, nous n’avons pas capacité dans l’entreprise, à construire le monde de demain si nous n’avons pas la capacité à le comprendre ou alors à l’anticiper ou à l’imaginer. Ça c’est le registre de l’efficacité.
2- Il y a un deuxième registre qui est, de mon point de vue et j’ose le mot, de la moralité. Dans une entreprise, mais globalement dans les territoires, dans les sociétés, dans les pays dans lesquels nous vivons, il n’est pas concevable de laisser une partie des communautés sur le bord du quai. Ce n’est pas concevable, chacun doit pouvoir s’épanouir, chacun doit pouvoir se développer, chacun doit pouvoir contribuer à construire le monde de demain et y compris dans l’entreprise ou le projet de demain. Je crois que la responsabilité des Dirigeant(e)s en particulier est de donner à chacun la capacité à être contributeur à la construction du monde de demain ou du service de demain ou du produit de demain.
C’est une question de responsabilité et d’humanité.
Nous ne pouvons pas vivre dans une organisation sans nous assurer que chacun pourrait y contribuer au regard de son talent, quel que soit ce qui a été son genre, sa préférence sexuelle, son histoire familiale, peut-être même son niveau d’éducation, et ce faisant, l’entreprise à la responsabilité de donner les moyens qui permettront aux communautés du territoire d’avoir la même chance. Et ça c’est une question de responsabilité. Il n’est pas concevable me semble-t-il, pour un Dirigeant de l’entreprise comme pour un Etat ou un gouvernement, de ne pas donner à chacun des options, une perspective d’avenir, et ça c’est du registre de la responsabilité peut être de la moralité, moi je préfère la moralité à cet égard.
Lise Bachmann : Oui, c’est très fort en effet !
Pierre Deheunynck :
3- Et puis enfin il y a un troisième registre qui est ce que j’ai appelé plaisir ou fun.
Il est tellement plus stimulant pour chacun d’entre nous, personnellement et intellectuellement, d’interagir avec des acteurs qui ne nous ressemblent pas, qui contribuent au développement, à l’élargissement, de mon point de vue, de nos représentations, de nos croyances. Cela est du registre de la curiosité mais aussi de la compréhension de l’écosystème qui nous entoure, du monde dans lequel nous vivons et je trouve qu’il y a beaucoup pas à apprendre, beaucoup pas à imaginer, beaucoup à faire, beaucoup de plaisir à prendre dans ces interactions. Dans ce cadre de vie qui vient intégrer la diversité qui permet aussi d’enrichir ce que nous voyons, ce que nous savons.
Le plus grave pour un dirigeant c’est de ne pas savoir ce qu’il ne sait pas !
Il y a une matrice en management qui séquence la connaissance entre « je sais que je sais, je sais que je ne sais pas, je ne sais pas que je sais, je ne sais pas que je ne sais pas »
Pierre Deheunynck : C’est cette part de la matrice qui est la plus dangereuse pour un dirigeant…
Lise Bachmann : Quand il ne sait pas qu’il ne sait pas !
Pierre Deheunynck : Quand il ne sait pas qu’il ne sait pas parce qu’en réalité c’est sa zone d’ombre, son angle mort. La diversité aide à s’approprier ce qu’il ne sait pas où ce dont il n’a pas conscience qu’il ne sait pas et qui pourrait l’emmener à prendre des décisions qui seraient non seulement à contrep un poids ou tellement inefficace, voir des soutisses. Donc c’est aussi du registre de l’apprentissage que du développement personnel comment dirai-je travailler en diversité et créer des conditions de bien comprendre son écosystème, il n’y a pas de dirigeant efficace, durablement sans qu’il est la meilleure compréhension de son écosystème, de ses concurrents, de ses salariés et tout ceci dans le meilleur niveau de diversité possible.
Lise Bachmann : Pierre, on finit sur cet hommage à la diversité je ne peux que t’en remercier. Ça fait partie aussi de mes sujets de prédilection. J’en suis vraiment ravie ! Merci encore pour ce témoignage et à très bientôt j’espère !
Pierre Deheunynck : A très bientôt Lise ! Merci !